Europe : le tabou de la dissuasion : épisode • 2/4 du podcast Vers un nouvel âge nucléaire ?

Des activités de Greenpeace projettent sur la façade du Reichstag, le parlement allemand, un message contre le nucléaire militaire le 21 janvier 2022 ©AFP - Tobias Schwarz
Des activités de Greenpeace projettent sur la façade du Reichstag, le parlement allemand, un message contre le nucléaire militaire le 21 janvier 2022 ©AFP - Tobias Schwarz
Des activités de Greenpeace projettent sur la façade du Reichstag, le parlement allemand, un message contre le nucléaire militaire le 21 janvier 2022 ©AFP - Tobias Schwarz
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Alors que le chantage à la bombe revient dans la réthorique russe dans un contexte de guerre en Ukraine, une réunion réunissant les signataires du Traité sur l’interdiction des armes nucléaires se tiendra à Vienne le 22 mars 2022. Quel rapport entretient l'Europe avec la dissuasion nucléaire ?

Avec
  • Benoît Pelopidas Fondateur du programme d’étude des savoirs nucléaires Nuclear Knowledges à SciencesPo.
  • Nicole Gnesotto Vice-présidente de l’Institut Jacques Delors, professeur émérite au Conservatoire national des arts et métiers
  • Frédérick Lemarchand

Face à la menace nucléaire brandie par la Russie, les Etats européens sont renvoyés à leurs propres questionnements quant au principe de dissuasion. Que les Etats soient personnellement dotés de la bombe comme la France ou placés sous le parapluie atomique des Etats-Unis, la dissuasion demeure une pièce maîtresse du dispositif de défense continental. Au niveau de son efficacité stratégique comme de sa légitimité démocratique, elle est néanmoins discutée, voire même parfois remise en cause, notamment dans le cadre de la prochaine réunion des signataires du traité sur l’interdiction des armes nucléaires de Vienne, qui se tiendra le 22 mars 2022. 

Sur quels présupposés la dissuasion nucléaire repose-t-elle ? Comment les Etats du Vieux Continent peuvent-ils concilier ce principe avec l’impératif démocratique ? Et enfin, qu’est-ce que les histoires atomiques françaises et britanniques nous disent du rapport des deux pays dotés de la bombe à la question ?

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On s’est enamouré de l’idée que la menace nucléaire était systématiquement efficace et n’avait pas d’autres effets que son efficacité. Or, comme le montre l’exemple de la crise de Cuba, la menace nucléaire peut avoir des effets d’escalade. Comme toute autre politique publique, la gestation nucléaire a des effets parfois désirés, et parfois indésirables. Benoît Pelopidas

Florian Delorme reçoit Benoît Pelopidas, professeur associé au CERI Sciences Po, fondateur du programme d’études du savoir nucléaire.

Deuxième partie : Face à la dissuasion nucléaire, un continent fracturé

Des manifestants à Oslo réclament la signature par la Norvège du Traité sur l'interdiction des armes nucléaires - 2017
Des manifestants à Oslo réclament la signature par la Norvège du Traité sur l'interdiction des armes nucléaires - 2017
© AFP - Odd Andersen

Au-delà des questionnements sur les impensés de la dissuasion nucléaire et sur sa compatibilité avec des régimes démocratiques, le Vieux Continent peine à s’exprimer d’une seule voix sur la question de la dissuasion nucléaire, et plus largement sur la question militaire. Si le 27 février, Bruxelles a pour la première fois décidé de livrer des armes à l’Ukraine, la défense reste en effet un angle mort de la construction européenne. Au grand dam de la France, qui tente depuis des décennies de faire de sa puissance nucléaire la clé de voûte d’une autonomie stratégique européenne.

Nos partenaires ne veulent surtout pas ouvrir de débat [sur un élargissement de la dissuasion nucléaire française à l'échelle européenne] car ils sont divisés sur la nécessité ou l'immoralité du nucléaire.  Et si les alliés européens devaient choisir une dissuasion nucléaire élargie, ils opteraient pour la dissuasion américaine en laquelle ils ont bien plus confiance. Nicole Gnesotto

Avec Nicole Gnesotto, historienne et politiste, titulaire de la chaire « Union européenne » au Conservatoire national des arts et métiers. 

Troisième partie : Une histoire intellectuelle européenne de la bombe atomique

Le philosophe allemand Hans Jonas (1903-1993)
Le philosophe allemand Hans Jonas (1903-1993)
© Getty - Bettmann

Le rapport européen ambivalent au nucléaire militaire sur le plan stratégique prend racine dans l’histoire intellectuelle du continent. De Gunther Anders à Jean-Pierre Dupuy en passant par Hans Jonas, depuis août 1945, nombre de penseurs ont théorisé les changements de rapport à la science, à la technologie et au monde qu’a induit la bombe atomique. Comment Hiroshima, Nagasaki, mais aussi les crises de Cuba ou des euromissiles ont-ils façonné la pensée européenne ? Dans quelle mesure la toute-puissance technologique et scientifique de l’Homme a-t-elle chamboulé son rapport à lui-même et à son environnement ? Et enfin, dans quelle mesure des événements tels que l’explosion de Tchernobyl ou encore la pandémie de Covid-19 s’inscrivent-ils dans une histoire européenne de la catastrophe ?

Depuis le début de la dissuasion nucléaire, on a produit un discours de rassurance fondée sur l’équilibre de la terreur. Mais cette doctrine suppose sur un niveau de rationalité suffisant chez toutes les parties pour que l’équilibre fonctionne. On peut s’interroger sur la rationalité de Poutine lorsque ce dernier évoque, lors de plusieurs entretiens, la possibilité d’une apocalypse nucléaire en affirmant qu’à la fin des fins, les russes iront au paradis, et les occidentaux en enfer. Frédérick Lemarchand

Avec Frédérick Lemarchand, professeur de sociologie à l’université de Caen-Normandie, directeur du centre de recherche des vulnérabilités.

Références sonores

- Extrait d’une allocution de Pierre Messmer, ministre des armées, sur la dissuasion nucléaire.

- Pierre-Jean Dupont, général de division aérienne garantit la sureté de la dissuasion nucléaire (Le Monde, 22 janvier 2021)

- L’euro-députée Michèle Rivasi affirme l’inanité de la dissuasion nucléaire (EuroEcolos, 21 février 2019)

- Emmanuel Macron affirme que la dissuasion nucléaire française bénéficie à toute l'Europe (ECPAD, 07 février 2020)

- Extrait d’une interview de Robert Oppenheimer réalisée en 1965 durant laquelle il se remémore les réactions suite au premier essai nucléaire américain mené à Alamorgodo dans l’état du Nouveau-Mexique

Référence musicale

- « Seeya later » de Boards of Canada (Label : Warp)

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